SAISON 2022 - 2023 Phase 1
LES LOISIRS Compétition Loisirs | | |
Rencontre n°1 | GBTT 2 - ST EGREVE 1 : 8 - 2 | GBTT 3 - ST EGREVE 2 : 2 - 8 |
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La Tribune du Ping - 20 octobre 2022
Rubrique sport-évènement
AMES SENSIBLES S’ABSTENIR
Au-delà des coups de raquettes endiablés, la démonstration de force mentale des joueurs de L’USSE TT Loisirs a changé la face du monde, renvoyant aux ténèbres les desseins funestes d’être malveillants.
Cela s’est déroulé à huis clos et c’est mieux ainsi. En effet, un spectateur non averti présent tout au long de la soirée (en admettant qu’il ait tenu jusqu’au bout sans flancher) aurait pu voir sa santé mentale altérée par le déroulement de l’évènement, par tant de beauté, de fluidité, de limpidité et d’intelligence réunies dans un si petit espace, malgré des circonstances qui se sont gâtées au plus mauvais moment. A coup sûr, son discernement aurait été amoindri, sa lucidité mise en danger et qui sait ce qui aurait pu lui arriver une fois livré à lui-même dans les rues sombres de Saint-Egrève en ce soir d’automne.
J’y étais et je peux témoigner. Habitué à suivre les tournois de la Section Loisirs de l’USSE TT, j’ai pourtant failli pleurer d’émotion, m’étrangler de bonheur et de désespoir de me dire que jamais plus il me serait permis d’atteindre ce point d’extase. Depuis, la vie m’apparaît bien fade. Mais reprenons depuis le début.
Dix-huit joueurs (un record !) de sept nationalités (France, Allemagne, Angleterre, Chili, Géorgie, Inde et Irlande) étaient inscrits pour le tournoi A et le tournoi B, deux tournois par équipe. D’abord, il y eut le sport : de la concentration, de la sueur, de la maîtrise des nerfs (pas toujours), de la combattivité que ces grands esprits dominent presque parfaitement. Et, comme dans toute compétition, il y eut les vainqueurs et les vaincus. Saluons les performances de la triplette Dave, Ingo et Emmanuel vainqueurs du tournoi A, bien que privés du grand chelem au dernier match de la dernière rencontre par les lanternes rouges Franck, Romain et Colin. Le podium fut complété par Norbert, Richard et Esteban, deuxièmes, et Avra, Christian et Samuel, troisièmes. Le tournoi B ne réserva quant à lui que peu de suspense, tant la domination de Seloua, Ulla et Sylvain fut écrasante, Chantal, Laurien et Zaza opposant avec brio un immense courage qui n’a pas suffi.
Être témoin de cela était déjà, tout le monde connaît le niveau de jeu développé par ces pongistes, un privilège et je ressortis un peu groggy, pantois de cette expérience toujours instructive. Mais la suite allait achever de me mettre en transe.
On annonça la troisième mi-temps. On attendait ripaille et gaudriole, saucissons épais et blagues grasses, ou l’inverse, vapeurs d’alcool et rires sonores. Au lieu de cela, le sport avait lavé les esprits, aiguisé les cerveaux, purifier les âmes et le dîner qui suivit ne ressembla à aucune autre troisième mi-temps vécue de par le monde, de tous temps.
Comment peut-on s’élever intellectuellement aussi haut par la pratique d’un sport, aussi noble soit-il ? Et si le Tennis de Table était à ranger du côté des arts martiaux ? En effet, il ne fut question, cela paraît incroyable mais cela est vrai, que de philosophie. La sagesse emplissait la salle autant que les victuailles les estomacs.
A un moment, Norbert fit un brillant exposé sur la pensée de Descartes. Cet exposé éclaira pour moi rétrospectivement toute la soirée. Toutes les discussions étaient, sous une apparence anodine, philosophiques : on aborda le Constructivisme (Samuel cherche une maison à Saint-Egrève), le Structuralisme (comment faire pour que les bouteilles ne s’arrêtent pas toutes devant Norbert), l’Idéalisme (voir ces étrangers s’installer en France et y rester tant ce pays est idéal) le Stoïcisme (Franck est un maître stoïcien, acceptant toutes ses défaites avec placidité, ainsi que Romain condamné à boire du jus de fruit car trop loin de Norbert), Platon et sa théorie de la connaissance (que les dirigeants de Champollion n’ont visiblement pas assimilée), l’Existentialisme (pourquoi personne n’a ouvert le paquet de carottes nouvelles ?) et l'Epicurisme, bien entendu (aidés par les brochettes poulet Tandoori, les pains irlandais au saumon, les roulés au thon et autres tartes aux ravioles).
Le sommet de la grandeur d’âme fut atteint lorsque le génie du mal apparut sous les traits juvéniles d’un homme blond d’une vingtaine d’année, vers 22h45. « Je vais fermer », dit-il avec son faux air innocent, ayant manifestement compris que l’échange idéologique entamé autour de la table allait déboucher sur des concepts si puissants qu'ils allaient ruiner tous les efforts consentis par les génies du Mal pour leur œuvre, répandre le mal. Dès lors, la connexion télépathique entre les penseurs réunis fit augmenter l’énergie des neurotransmetteurs et la réponse jaillit, nette et définitive : « Fermez tout, nous claquerons la porte en partant », lui répondit-on. Le jeune diablotin s'en alla tout penaud. La lumière avait triomphé de l’obscurité, le Bien du Mal, et les discussions reprirent de plus belle. Mais c’était mésestimer la puissance du Malin. Le Méphisto en culottes courtes réapparut comme par enchantement et dit : » Il faut partir (comprendre « mourir »), je n’ai pas le droit de vous laisser là. »
L’assemblée vacilla. Des éclairs et des étincelles jaillirent, les pupilles se dilatèrent et les muscles se tendirent. Seloua, sage d’entre les sages, prit alors la parole : « Qui est ce maître qui vous enjoint de nous délivrer cette parole nauséabonde ? » (Je ne garantis pas les termes exacts de la citation). « C’est mon père » répondit-il. Donc Satan lui-même opérait par l’entremise de cette petite main. Il lui fut répondu : « Vous essayez de rompre des traditions millénaires en cassant le lien de fraternité qui nous unit » (ce qui revient à dire : « On a toujours fait comme ça. On finit notre bouffe et on claque la porte en sortant »). Le démon boutonneux s’esquiva sans attendre, mettant un terme définitif à cette bataille divine, éclairée par des siècles de philosophie emmagasinés dans les cerveaux brillants des personnes présentes. La soirée put se poursuivre jusqu' à son terme devant les douceurs sucrées nécessaires, tant nous avions tous puiser dans nos réserves d’énergie pour livrer cette dernière bataille.
Quand je vous dis que ce tournoi fut incroyable…
Christobal Dematch, envoyé spécial à Saint-Egrève
Photos : Sarah Quettenbois